Non au déménagement des collections du Muséum national d’histoire naturelle
D’un fait sécuritaire ponctuel le président du Muséum a tiré une loi logistique générale : il faut déménager des collections du Muséum hors du site historique du Jardin des Plantes. En effet, les collections en fluides, notamment en alcool, posent depuis des années de réels problèmes de sécurité et sont conservées hors capacité de stockage à la zoothèque.
Le projet se nomme “nouvelles infrastructures des collections hors du Jardin des Plantes” et prend la forme d’un Appel à manifestation d’intérêt (AMI) auprès de collectivités territoriales. Tout dépend donc (pour le meilleur et pour le pire) de ce que ces dernières proposeront car, en effet, les AMI se caractérisent par le rôle prépondérant des entités qui répondent à l’appel et par une fragilité juridique du dispositif. Les AMI ressemblent fort à un contrat de la commande publique avec tous les risques de recours et de requalification en marché public que cela peut entraîner.
Ce projet, nous dit-on, au gré des réunions des instances, ne prendra pas effet avant 5 ans, 8 ans, 10 ans, 12 ans, 15 ans etc. Ce flou, délibérément entretenu, tente de camoufler le fait que la machine infernale ne pourra bientôt plus être stoppée.
L’AMI doit être diffusé dès cette semaine, si l’on en croit Le Parisien (n° du 8 janvier 2022), et la sélection opérée en juin prochain. Il va engager le Muséum dans un processus inéluctable, voire irréfutable dès qu’une collectivité territoriale armée de son propre projet aura été retenue.
Réflexion collective avec les personnels ? Non, communication
La “large consultation des personnels du Muséum” annoncée par voie de communication interne a-t-elle vraiment eu lieu ? Non
L’AMI est-il le fruit des (rares) consultations du personnel technique des collections ? Il semblerait que non puisque ces agents ont manifesté leur vive opposition au projet. Mais pas d’inquiétude nous a-t-on fait savoir (CT du 7.12.2021), puisqu’ils seront à la retraite lorsque la procédure sera arrivée à terme…
Depuis des mois, dans les instances (CA, CS, CT), les élus du SNIRS CFE-CGC et du Syndicat autonome des personnels du Muséum s’opposent au projet et dénoncent l’absence de concertation alors même que ce déménagement marque une rupture dans l’idée fondamentale de ce que sont le Muséum, ses missions, celles de son personnel.
L’inquiétude semble gagner du terrain, puisqu’en décembre dernier, le Conseil scientifique (CS) a estimé nécessaire de voter une motion s’étonnant, entre autres, “qu’un tel projet n’ait été présenté et discuté que dans ses modalités pratiques” et non, au préalable, dans son principe.
Une nouvelle attaque contre le statut des enseignants-chercheurs du Muséum
Les enseignants-chercheurs du Muséum (ECMU) font partie des personnels ayant vocation statutaire à exercer des missions de conservation des collections des musées de France (circulaire n°2004-002 du 16 février 2004). En effet, le décret n°92-1178 du 2 novembre 1992 portant statut du corps des professeurs du Muséum et du corps des maîtres de conférences du Muséum leur confie une mission “dans le domaine des sciences naturelles et humaines […] de conservation et d’enrichissement du patrimoine national et d’étude et de valorisation scientifique des collections.”
Or, non seulement les ECMU n’ont pas été collectivement associés au projet mais le président a indiqué au CA et au CT qu’aucune UMR n’accompagnerait les collections dans ce déménagement. À l’évidence, les collections appelées à déménager relèvent plus du tracas logistique que de l’objet scientifique… La décision est individuelle, celle du président, la science et le Muséum pluriséculaire devront visiblement faire avec.
Remettre les collections au cœur du Muséum
En tant que musée de France, le Muséum aurait dû fournir depuis des années un projet scientifique et culturel (PSC) et procéder à un récolement décennal de ses collections. Si le devenir du PSC est bien brumeux (aurait-il été présenté au ministère de Culture sans avoir recueilli l’avis des instances ?), le récolement demeure une gageure (16% en 2017 du total estimé des collections).
Des inventaires absents ou lacunaires pour certaines collections numériquement imposantes conduisent à n’avoir qu’une visibilité faible sur l’étendue réelle de l’existant présent sur les sites du Muséum. Cette situation ne permet pas de prendre la mesure de l’unité raisonnée des collections. Nombreux sont les spécimens intellectuellement mais non physiquement appariés, qu’ils soient le produit d’une même collecte, d’un même questionnement scientifique ou de la subdivision d’un même individu. Tout déménagement conduit à la perte de cette cohérence.
Autre motif d’inquiétude : le goût pour le désherbage, pratique qui conduit à éliminer de supposés doubles (absurdité en sciences naturelles). Le DGD-C n’en est pas là mais signalait lors du CA d’octobre 2021 qu’il faudra réfléchir à « ce qu’il est important de conserver en matière d’usage scientifique et de le distinguer de ce qui est très peu consulté ou pose un problème de place ». Or la richesse du Muséum est de conserver des collections d’hier et d’aujourd’hui pour répondre aux problématiques scientifiques d’aujourd’hui et à celles de demain.
Attention au jeu de domino
Doit-on s’en remettre au bon vouloir d’une collectivité territoriale pour décider de la façon de gérer un patrimoine national ? Faire converger des intérêts nous dira-t-on, mais nous n’avons pas entendu que la dynamique scientifique qui justifie la constitution et la conservation de nos collections soit l’argument qui prévale dans ce dossier. En 2017, la Cour des Comptes estimait que “l’intérêt de la proximité entre les sites d’exposition, l’activité de recherche et les collections n’[était] ni mesuré, ni démontré” par le Muséum. À l’évidence, le projet tel qu’il est actuellement embouché donne pleinement raison à cette affirmation que nous estimions pourtant péremptoire et fausse.
Une fois des collections entières parties à 2 heures de Paris, voire 3 heures selon Le Parisien, sans avoir posé de question scientifique préalable qui légitime leur présence auprès des équipes de recherche, qu’est-ce qui pourra justifier que toutes ne quittent pas ensuite Paris ? Le Muséum doit-il se réduire à n’être que des galeries et une administration ?
Qu’est-ce que le Muséum pourra répondre à ceux qui, une fois encore, arriveront les bras chargés de projets immobiliers pour densifier l’îlot Poliveau déserté de ses tiroirs et compactus ?
Au nom de quoi le Muséum pourra-t-il demander à ses ministères de tutelle des financements spécifiques et des moyens humains pour ses collections alors qu’il n’en aura plus la charge concrète ?
Pourra-t-on s’étonner et s’indigner de la disparition prochaine du statut des ECMU ? Que dirons-nous lorsque les ECMU, au service alors restreint à l’enseignement et à la recherche, seront soumis aux 128h de cours ou 192h de TD/TP au sein de SU ?
Pourquoi le président du Muséum ne fait-il pas le choix, pour ses derniers mois de mandat à la tête de l’établissement, d’ouvrir un grand chantier de réflexion collective autour des collections ? Pourquoi le Muséum se montre-t-il aussi peu participatif avec ses personnels quand il s’agit du devenir de l’établissement ?
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